Ce vitrail a été réalisé en 1920 par Maurice Denis en collaboration avec Marcel Poncet. Il est commandé par le frère et les soeurs de l’abbé Francis Jacquet, décédé l’année précédente de la grippe espagnole (Hodel, 1994, p. 22). C’est le dernier vitrail complétant le cycle des huit fenêtres des bas-côtés de la nef de l’église Saint-Paul de Cologny (GE), dans le quartier de Grange-Canal.
Au début du siècle, les catholiques genevois sortent à peine des années douloureuses du Kulturkampf et retrouvent enfin les églises qui leur avaient été enlevées. Pour répondre à la présence grandissante de catholiques dans le canton, de nouvelles paroisses voient le jour (Sauterel, 2008, p. 52-55 ; Poiatti, 2001, p. 7-10). C’est dans ce contexte de renforcement du catholicisme dans le canton qu’est érigée l’église Saint-Paul. Elle est construite dans le style néo-roman par l’architecte Adolphe Guyonnet, entre 1913 et 1915. Le curé Jacquet, en charge de sa construction et sa décoration, ambitionne d’en faire une “oeuvre de beauté” qui marquera une étape dans l'histoire de l'art religieux au XXème siècle (Comte, 1920, p. 60). Il souhaite s’adjoindre le concours de jeunes artistes, à l’instar de l’abbé Emile Dusseiller à l’église Notre-Dame suite à son rachat en 1912 et sa rénovation. Ce dernier désire pourvoir la future basilique de vitraux “aussi modernes d’inspiration que ceux de la cathédrale de Fribourg” (Poiatti, 2008, p. 111), qu’il confie à des artistes genevois comme Alexandre Cingria, Marcel Poncet et Charles-Emile Brunner. Jacquet va suivre un chemin similaire en s’entourant des mêmes protagonistes à l’église Saint-Paul, ainsi que du célèbre peintre français Maurice Denis, qui est déjà une figure d’autorité en tant qu’artiste et théoricien de l’art (Hodel, 1994, p. 1-4) et qui travaillera également à Notre-Dame dès 1917. En début d’année 1914, sur le conseil de Guyonnet et par l’intermédiaire de l’écrivain Georges Goyau, Jacquet contacte Denis pour la décoration de l’abside de Saint-Paul. Celui-ci répond favorablement malgré les maigres ressources de la jeune paroisse et le remercie de lui “fournir l’occasion de manifester aux catholiques de Genève un idéal d’art dont leur ville a depuis longtemps perdu la tradition” (Hodel, 1994, p. 3).
Denis démarre la décoration par la peinture sur toile marouflée illustrant la vie du saint patron de l’église, qui est posée dans le choeur en 1916. Entre 1918 et 1922, il conçoit en collaboration avec l’atelier de Marcel Poncet l’ensemble des fenêtres hautes de la nef.
En ce qui concerne le cycle des bas-côtés de la nef, dépendant de l’argent récolté auprès de donateurs, cinq ans sont nécessaires à la paroisse pour le terminer. Poncet réalise les trois premières verrières du bas côté sud-est en 1915, suivi l’année suivante par Brunner et Cingria dans le bas côté nord-ouest, et Denis conçoit le dernier vitrail en 1920. Ces fenêtres des bas-côtés, de dimensions modestes, sont disposées à hauteur de regard et présentent toutes une composition identique faite d’une large bordure ornementale et de trois registres narratifs superposés relatant chacun des épisodes significatifs de la vie d’un saint. Bien que chacun y déploie son style personnel, l’ensemble dégage une impression d’unité visuelle indéniable grâce à ce même modèle compositionnel. Il est à noter que ce modèle sera choisi en 1925 par l’architecte Fernand Dumas pour les vitraux des bas-côtés de la nouvelle église de Semsales (par exemple GSL_73 ; GSL_90), ainsi que pour les verrières du temple de Carouge, la même année, avec néanmoins une préférence pour quatre registres (par exemple GE_05.07), et enfin, en 1938, pour l’église Saint-Joseph à Genève.
A l’instar des réalisations antérieures de Brunner, Poncet et Cingria, Denis opte pour une palette de couleurs analogue pour les scènes figurées et la bordure. Il choisit une gamme de teintes plutôt douces, dominées par des coloris verts, bleus et ocre, qu’il contrebalance avec une présence importante de blanc. Ses scènes relatent des épisodes de la vie de saint Paul, à l’instar de sa toile marouflée. Le vitrail étant conçu en souvenir de l’abbé Jacquet, Denis le représente sur la scène inférieure, en train d’offrir l’église de Grange-Canal à l’apôtre (Poiatti, 2008, p. 119). L’artiste français choisit, comme Cingria, d’y adjoindre une inscription expliquant l’iconographie de chaque épisode dépeint et, comme Brunner et Poncet, prévoit un cartouche sur la bordure inférieure duquel il mentionne le donateur du vitrail et la dédicace à l’abbé.