Ce panneau compte parmi les vitraux du bas Moyen Age les plus remarquables en Suisse, d’une part en raison de sa bonne conservation, mais avant tout en tant que premier exemple connu en Suisse de vitrail dit “héraldique”. Dans ce type de vitrail, qui deviendra très répandu par la suite, les armoiries du donateur forme le sujet principal. Auparavant, des armoiries étaient déjà souvent présentées sur des vitraux, mais elles étaient un élément parmi d’autres. Dans notre cas, le blason constitue l’unique sujet, ce qui en fait un précurseur significatif pour l’avenir. Le blason est accompagné de deux lacs d’amours, également appelés nœuds de Savoie, ainsi que de la devise FERT inscrite en haut du panneau, adoptée par la maison de Savoie au XIVe siècle. L’interprétation de la devise a fait l’objet de nombreuses hypothèses (cf. Fert, s.d.). Signe de fidélité, le lac d’amour est apparu la première fois avec Amédée VI de Savoie, lors d’un tournoi en 1353 (Baptiste, 2016, p. 162 et 164). Luisa Gentile indique qu’il a été associé plus tard, ensemble avec le célèbre mot FERT, à l’ordre du Collier fondé par le comte (Baptiste, 2016, p. 162).
Une notation sur les factures du trésorier fribourgeois en 1454 pourrait être mise en relation avec ce vitrail (Anderes, 1963, p. 40, Strub, 1969, Trümpler, 1990, p. 134). Elle signale que le verrier bâlois Michel Glaser a été rétribué pour un vitrail aux Armes de Savoie destiné à l’Hôtel de Ville: ”Item a Meister Michel le glaser de Bala pour la fenestra de Savoe et aultre ovrage fait au grand poile de la justice, VIII fl. vz XII Ibr.” (Archives de l’Etat de Fribourg, Compte du trésorier, N°103, 1er semestre 1454, p. 43, recopié dans Strub, 1969, p. 18, note 1). Cette attribution au verrier bâlois est appuyée par des similitudes stylistiques (motifs végétaux identiques sur fond bleu) avec d’autres vitraux lui étant attribués, notamment deux fenêtres de Bourguillon, près de Fribourg (Musée historique de Bâle) ou trois panneaux provenant du monastère de la Fille-Dieu à Romont (Musée historique de Berne, exposés au Vitromusée Romont) (voir Beer, 1965 et Anderes, 1963).
La provenance de ce panneau n’est pas certaine. Selon l’ancien propriétaire, la famille de Diesbach à Balterswyl, le panneau proviendrait de l’auberge de la Croix-Blanche (Weissen Kreuz), l’un des plus anciens restaurants de la ville de Fribourg, situé à l’emplacement de l’actuel Grenette (Strub, 1969, p. 16). Après être restée depuis 1277 sous la domination des Kybourg, la ville de Fribourg devient en 1452 possession de la Savoie. La ville se prépare alors à recevoir solennellement le prince Amédée de Piémont (plus tard Amédée IX de Savoie). Le prince loge au Couvent des Cordeliers, voisin de l’auberge de la Croix-Blanche (cf. Fleury, 1921, p. 120). Dans toute la ville, les armoiries autrichiennes sont remplacées par la croix savoyarde. “Si la provenance exacte de ce vitrail nous reste inconnue, on peut cependant très bien imaginer qu’à cette occasion, on a commandé auprès de ce verrier réputé une fenêtre armoriée pour une taverne importante” (Trümpler 1990, p. 134). Marcel Strub estime que la présence des lacs d’amour et de la devise laisse supposer que le vitrail a été un cadeau du duc et non une commande de l’Etat (Strub, 1969, p. 18) .
L’inscription “Wollff Simon”, gravée sur le verre blanc de la croix, fait référence à un verrier du XVIIe ou XVIIIe qui a restauré le réseau de plomb. Marcel Strub interprète la suite de l’inscription de la façon suivante: “schönberg glaser jung” (Strub, p. 16, notice 1). Cette interprétation semble toutefois hasardeuse. A la fin du XIXe siècle, le réseau de plomb a été remplacé. Cette intervention a probablement été réalisé par l’atelier Kirsch & Fleckner, le seul atelier attesté à cette époque à Fribourg (De Bosio, 2006, p. 452).
Inv. Nr. GKS 1062