Name

Severini, Gino

Author and Date of Entry
Valérie Sauterel 2015 ; Camille Noverraz 2022
Locations With Objects
Biographical Data

Né à Cortone en Toscane dans une famille aux origines modestes, Severini commence à dessiner très jeune pour échapper à l'échec scolaire. A seize ans, sa mère s'arrange pour obtenir du travail à Rome et y faire venir son fils qui vit de petits emplois. Durant cette période de pauvreté extrême, le foisonnement intellectuel le pousse à lire Marx, Engels, Nietzsche, ce qui l'éloigne de la religion catholique de son enfance. En 1901, il rencontre Umberto Boccioni, avec lequel il se lie d'amitié et qui lui présente Giacomo Balla en 1903, tout juste rentré de Paris et amenant avec lui les nouveautés de cette ville. C'est lui qui initie Severini aux techniques de l'avant-garde, comme le divisionnisme de Seurat. Il fréquente l'école d'art San Giacomo et l'école libre du nu, mais les études ne correspondent pas à son esprit indépendant (Severini, 2011, p. 8-20). 
En 1906, totalement désargenté, il quitte Rome pour Paris et s'installe à Montparnasse puis à Montmartre. Il y rencontre Modigliani, Dufy, Utrillo, Braque, Picasso, Gris, Van Dongen et tant d'autres acteurs culturels de l'époque, à la période des premières tentatives cubistes et fauvistes. En 1911, il signe l'un des manifestes du futurisme avec Balla, Boccioni, Carrà et Russolo, mouvement que Severini revendique comme éminemment italien et qui lui apporte une certaine réputation, bien qu'il reste distant vis-à-vis de ses idées les plus radicales (Severini, 2011, p. 29-45, 92). 
Il mêle dans ses œuvres de 1910 à 1916 un néo-impressionnisme formel à une nouvelle réflexion sur la représentation de l’espace et du temps à travers des sujets mettant en évidence la vie moderne : la ville, le théâtre, le mouvement et la danse. Il se rapproche ensuite du cubisme dès 1916, courant qui répond à sa recherche de rationalité au niveau de la construction spatiale et compositionnelle (Belli, 2011a, p. 118-119 ; Belli, 2011b, p. 158-161). Cette recherche est nourrie par un intérêt croissant pour les mathématiques et la géométrie, aboutissant en 1921 à la publication de l'ouvrage "Du cubisme au classicisme : esthétique du compas et du nombre", première contribution de l'artiste en tant que théoricien de l'art (Severini, 1921). Alors qu’il s’éloigne de plus en plus de l’objet dans ses natures mortes de 1916-1917, il revient vers le figuratif dans ses compositions des années 1918-1919, parallèlement au "retour à l’ordre" pictural qui caractérise ses œuvres des années 1920, déjà mûri depuis 1916 (Belli, 2011c, p. 176-178). 
En 1921, il expérimente pour la première fois la technique de la peinture murale à fresque lors de la décoration pour les anglais Sitwell d'une petite pièce du château toscan de Montegufoni, près de Florence (Alberti, 2011, p. 105-122). Cette expérience le confronte à une technique ancestrale qu'il identifie comme un retour à ses origines italiennes et au savoir-faire artisanal et manuel du maçon, métier de son grand-père (Severini, 1998, p. 8).
En 1922, par l’intermédiaire de Maurice Denis, il rencontre le jeune prêtre Gabriel Sarraute, qui témoigne du cheminement intérieur de l’artiste ayant retrouvé la foi quelques années plus tôt, et souffrant de ne s’être marié que civilement et non religieusement avec son épouse Jeanne Fort. Il permet à Severini d’entrer dans une nouvelle étape, tant sur le plan spirituel que professionnel, puisqu’il recommande l’artiste au philosophe français Jacques Maritain, peu après avoir béni le mariage religieux du couple en janvier 1923 à Nanterre (Sarraute, 1987, p. 158-159). La rencontre avec le philosophe constitue un tournant dans la vie de l’artiste à plus d’un titre. Son ouvrage, Art et scolastique, devient rapidement l’un des piliers de sa réflexion artistique et spirituelle, et Maritain un ami et un soutien indéfectible (Radin, 2011 ; Radin, 2016, p. 69-101). Ce dernier est à l’origine de l’arrivée de Severini en Suisse romande, puisqu’il conseille en 1924 à Alexandre Cingria de proposer à Severini de participer au concours pour la décoration de l’église de Semsales, alors en cours de construction par l'architecte du Groupe de Saint-Luc Fernand Dumas (Radin, 2011, p. xix). L'église de Semsales constitue la première d'une longue série de chantiers d'églises décorées en Suisse romande par Severini dans l'environnement artistique du Groupe de Saint-Luc, Société artistique catholique à laquelle l'artiste adhère rapidement (Societas Sancti Lucae, 1926). 
Durant cette phase de sa carrière qui dure de 1924 à 1957 et qui n'est pas une simple parenthèse dans son oeuvre de peintre de chevalet, contrairement à ce que l'historiographie a trop longtemps suggéré, l'artiste s'emploie à la décoration de cinq églises : Semsales, La Roche, Saint-Pierre de Fribourg, Notre-Dame de Lausanne et l'église du Couvent des Capucins de Sion, auxquelles il faut ajouter des décorations ponctuelles dans les églises de Tavannes, et du Christ-Roi du Petit-Lancy. L'artiste y déploie des techniques monumentales complexes et variées, notamment la peinture murale et la mosaïque (Moretti et al., 2021 ; d'Ayala Valva, Noverraz, 2022, 79-129) ; Fiorentini Roncuzzi, Sarasini, 2004). Il expérimente également le domaine du vitrail avec la réalisation des verrières du choeur de l'église Saint-Pierre de Fribourg et d'un petit vitrail dans le baptistère du Christ-Roi du Petit-Lancy au début des années 1950. Bien qu'inexpérimenté dans le domaine du vitrail, ces deux expériences montrent qu'il envisage cet art de lumière dans la ligne abstraite qui caractérise son oeuvre pictural de cette période. Il réalise également en Suisse des décors monumentaux profanes, comme à l'Université de Fribourg où il conçoit un décor peint et une mosaïque (Garrone, 1998). 
Pour la plupart de ces chantiers, il supervise l'ensemble du programme décoratif de l'édifice, rôle d’une importance cruciale dans la démarche des architectes du Groupe de Saint-Luc, qui cherchent à obtenir une véritable cohésion des différents arts décoratifs au sein de l'architecture (Andrey, 1995, p. 33-45). 
Severini a une grande influence sur les artistes romands du Groupe de Saint-Luc, qui le respectent et l’admirent. Son grand ami Alexandre Cingria estime qu’il s’agit du "premier peintre qui, depuis bientôt cent ans, arriva à créer un style décoratif moderne adaptable à l’architecture" (Cingria, 1933, p. 34). Quant au sculpteur François Baud, il le considère comme "de nous tous le seul vraiment moderne" (Baud, 1952, p. 5). Plusieurs d’entre eux deviendront ses élèves et ses aides sur les chantiers de Suisse romande, à l’instar d’Albert Gaeng ou de Paul Monnier, dont les travaux seront marqués par l’artiste (Severini, 1980, [p. 1] ; Monnier, s.d.). La présence d’un artiste étranger sur des chantiers suisses durant la période de l’entre-deux-guerres marquée par la crise et le chômage, suscite néanmoins de nombreuses jalousies et polémiques (Rudaz, 2008, p. 38-43). Ces difficultés limitent ses possibilités de commandes, alors que la Suisse représente l’une des principales opportunités de travail de l’artiste, qui connaîtra toute sa vie de grandes difficultés matérielles et financières. La modernité de son travail dans les édifices religieux de Suisse romande, fruit d'une véritable synthèse de ses expériences picturales antérieures (divisionnisme, futurisme, cubisme, classicisme), n’est pas toujours bien reçue par le clergé, comme le prouvent les polémiques entourant la Trinité de Semsales (sous le couvert de la non-conformité iconographique), et les peintures murales du Couvent des Capucins de Sion (Torche, 1995, p. 73-77 ; Zermatten, 1947, p. 1). 
Durant toute sa période suisse, Severini retourne régulièrement en France et en Italie et poursuit ses activités de peintre de chevalet. A la fin de la guerre, il renoue avec un dynamisme vif et le point divisionniste de sa jeunesse, dans des réalisations qui frisent l’abstraction. L’artiste jouit alors d'une reconnaissance internationale (Kapsopoulos, 2008, p. 67). Accusé d'affinités avec le régime fasciste (il a collaboré à la décoration du Foro Mussolini à Rome et pour la salle de gymnastique privée du Duce), il choisit de s'exiler en France dès 1946, où il finit sa vie (Rudaz, 2008, p. 43).

Literature

Alberti, M. (2011). Gli affreschi di Gino Severini nel Castello di Montegufoni e il mito novecentesco della Commedia dell'Arte. Commedia dell'Arte – Annuario Internazionale, (4), 105-122.

Andrey, I. (1995, octobre). La décoration selon St-Luc. Le Groupe de St-Luc (Patrimoine fribourgeois), (5), 33-45.

d'Ayala Valva, M., Noverraz, C. (2022). Gino Severini’s encounter with the Groupe de Saint-Luc in Switzerland and his path towards «despoliation», 1923-1947. Studi di Memofonte, (29), 79-129.

Baud, F. (1952, 26 janvier). Étape V, 1924-1934 : L’art religieux et ses artistes.[autobiographie inédite]. Bibliothèque d'art et d'archéologie, Genève, Suisse. Fonds François Baud, 1903-1975.

Belli, G. (2011a). La saison futuriste. Dans G. Belli et D. Fonti (dir.), Gino Severini 1883-1966 : futuriste et néoclassique [Catalogue d'une exposition itinérante tenue au Musée de l'Orangerie, Paris, du 27 avril au 25 juillet 2011 et au Museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto du 17 septembre 2011 au 8 janvier 2012] (p. 118-155). Milan, Italie : Silvana Editoriale.

Belli, G. (2011b). Variations sur le cubisme. Dans G. Belli et D. Fonti (dir.), Gino Severini 1883-1966 : futuriste et néoclassique [Catalogue d'une exposition itinérante tenue au Musée de l'Orangerie, Paris, du 27 avril au 25 juillet 2011 et au Museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto du 17 septembre 2011 au 8 janvier 2012] (p. 158-161). Milan, Italie : Silvana Editoriale.

Belli, G. (2011c). La vocation classique. Dans G. Belli et D. Fonti (dir.), Gino Severini 1883-1966 : futuriste et néoclassique [Catalogue d'une exposition itinérante tenue au Musée de l'Orangerie, Paris, du 27 avril au 25 juillet 2011 et au Museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto du 17 septembre 2011 au 8 janvier 2012] (p. 176-199). Milan, Italie : Silvana Editoriale.

Cingria, A. (1933). Souvenirs d’un peintre ambulant. Lausanne, Genève, [etc.], Suisse : Payot.

Fiorentini Roncuzzi, I., Sarasini, F. (2004). Gino Severini, l'amore per il mosaico : il carteggio tra Gino Severini e il Gruppo Mosaicisti dell'Accademia di Ravenna. Ravenne, Italie : Fernandel scientifica.

Garrone, E. (1998). Gino Severini : all'Università di Friburgo = à l'Université de Fribourg. Fribourg, Suisse : Bibliothèque cantonale et universitaire.

Kapsopoulos, A. C. (2008). Gino Severini, un peintre de son temps. L'église Saint-Pierre à Fribourg (Patrimoine fribourgeois), (18), 63-67.

Monnier, C. (s.d.). Biographie. Le retour 1932-1936. Paul Monnier 1907-1982. https://www.paul-monnier.ch/biographie#4

Moretti, P., Zumbühl, S., Caruso, O., Gammaldi, N., Iazurlo, P., Piqué, F. (2021). The Characterization of the Materials Used by Gino Severini in his 20th C Wall Paintings at Semsales in Switzerland. Applied sciences, 11, (19), p. 9161.

Radin, G. (2011). Il carteggio Gino Severini Jacques Maritain (1923-1966), Museo di Arte Moderna et Contemporanea di Trento e Rovereto, Italie : Leo S. Olschki Editore, 2011.

Radin, G. (2016). "Mon cœur est fidèle à ceux que j’aime" : la "grande amitié". Dans C. Lorentz (dir.), Maritain et les artistes : Rouault, Cocteau, Chagall... (pp. 69-101). Strasbourg, France : Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.

Rudaz, P. (2008). Un grand peintre trop encombrant ?. L'église Saint-Pierre à Fribourg (Patrimoine fribourgeois), (18), 38-43.

Sarraute, G. (1987). Témoignage sur Severini et Maritain. Nova et Vetera, (2), 148-159.

Severini, G. (1921). Du cubisme au classicisme : Esthétique du compas et du nombre. Paris, France : J. Povolozky & Cie.

Severini, G. (2011). La vie d'un peintre (traduit de l'italien par A. Madeleine-Perdrillat). Paris, France : Hazan.

Severini, J. (1980, 16 septembre). Témoignage de Madame Jeanne Severini. Quelques souvenirs. Archives de la Fondation Charles Journet, Suisse, boîte FCJ 3.

Severini, J. (1998, juin). Mes souvenirs du temps des trois Maritain. Les Cahiers de Jacques Maritain, 3-14.

Societas Sancti Lucae. (1926). Mitgliederverzeichnis. Archives de l’état de Lucerne, fonds PA 378/70.

Zermatten, M. (1947, 22 novembre). Les Révérends Pères révolutionnaires. Gazette de Lausanne, 1.