Ce vitrail en plein cintre, consacré aux saintes Sédeleube et Clotilde, a été réalisé en 1922 par Maurice Denis en collaboration avec Charles Wasem, associé de Marcel Poncet, pour l’une des fenêtres hautes de la nef de l’église Saint-Paul de Cologny (GE), dans le quartier de Grange-Canal.
Sédeleube et sa sœur grandissent à la cour de Lyon. Après la mort de leur père, elles sont envoyées à Genève où Sédeleube fonde l’église Saint-Victor, aujourd’hui disparue. Clotilde, après la mort de sa sœur, devient l’épouse du roi Clovis et en 496 assiste à son baptême (“Les nouvelles œuvres de Maurice Denis […]”, 1923).
Au début du siècle, les catholiques genevois sortent à peine des années douloureuses du Kulturkampf et retrouvent enfin les églises qui leur avaient été enlevées. Pour répondre à la présence grandissante de catholiques dans le canton, de nouvelles paroisses voient le jour (Sauterel, 2008, p. 52-55 ; Poiatti, 2001, p. 7-10). C’est dans ce contexte de renforcement du catholicisme dans le canton qu’est érigée l’église Saint-Paul. Elle est construite dans le style néo-roman par l’architecte Adolphe Guyonnet, entre 1913 et 1915. Le curé Jacquet, en charge de sa construction et sa décoration, ambitionne d’en faire une “oeuvre de beauté” qui marquera une étape dans l'histoire de l'art religieux au XXème siècle (Comte, 1920, p. 60). Il souhaite s’adjoindre le concours de jeunes artistes, à l’instar de l’abbé Emile Dusseiller à l’église Notre-Dame suite à son rachat en 1912 et sa rénovation. Ce dernier désire pourvoir la future basilique de vitraux “aussi modernes d’inspiration que ceux de la cathédrale de Fribourg” (Poiatti, 2008, p. 111), qu’il confie à des artistes genevois comme Alexandre Cingria, Marcel Poncet et Charles-Emile Brunner. Jacquet va suivre un chemin similaire en s’entourant des mêmes protagonistes à l’église Saint-Paul, ainsi que du célèbre peintre français Maurice Denis, qui est déjà une figure d’autorité en tant qu’artiste et théoricien de l’art (Hodel, 1994, p. 1-4) et qui travaillera également à Notre-Dame dès 1917. En début d’année 1914, sur le conseil de Guyonnet et par l’intermédiaire de l’écrivain Georges Goyau, Jacquet contacte Denis pour la décoration de l’abside de Saint-Paul. Celui-ci répond favorablement, malgré les maigres ressources de la jeune paroisse, et le remercie de lui “fournir l’occasion de manifester aux catholiques de Genève un idéal d’art dont leur ville a depuis longtemps perdu la tradition” (Hodel, 1994, p. 3).
Suite à la pose en 1916 de sa peinture sur toile marouflée dans le chœur, Denis accepte de concevoir les vitraux pour les fenêtres hautes de la nef. Marcel Poncet, qui a réalisé les verrières des bas-côtés et vient de terminer deux vitraux de Denis à la basilique Notre-Dame de Genève, est logiquement choisi pour leur exécution. Très satisfait du travail du jeune verrier, l’artiste français lui réitère sa confiance pour le mandat des vitraux de Saint-Paul. A son contact, il modifie en profondeur sa conception du vitrail, qui “perd son rôle de simple support de l’image pour conquérir sa propre expression” (Stahl, 2021, p. 98, 105).
Leur réalisation se fait en deux phases : la première en 1918 avec la pose de six verrières, et la seconde en 1922 pour les huit restantes. Alors que Poncet exécute lui-même les six premiers vitraux dans son atelier installé dans son appartement rue du Prieuré à Genève (Stahl, 2021, p. 103), c’est Charles Wasem qui se charge des huit derniers. Denis travaille aux cartons des six premières verrières dès le mois de mars 1917. Poncet ne pouvant commencer l’exécution avant le printemps 1918, l’artiste ne se rend à Genève pour travailler la patine des fenêtres qu’en avril et y reste jusqu’à la mi-juin. Initialement, ces six verrières étaient prévues pour être placées au plus près du chœur, mais ne répondant pas aux attentes de Denis qui les trouvent trop sombres, elles seront placées du côté de la tribune avec l’accord de l’architecte (Stahl, 2021, p. 103 et Stahl, 2009, p. 45, 46). Denis travaille aux cartons des huit dernières verrières dès 1919. Deux fenêtres sont en cours de réalisation durant cette même année, mais Poncet est trop occupé pour pouvoir continuer son travail. Entre 1921 et 1922, il est encore accaparé par le mandat des verrières de la chapelle du Prieuré, propriété de Denis à Saint-Germain-en-Laye, ainsi que par plusieurs autres entreprises qu’il assume durant l’année (son usine de verre à Bossey-Veyrier, son vitrail de la cathédrale de Lausanne) (Reymond, 1992, p. 47-55). Totalement débordé, c’est son collaborateur Wasem qui reprend cette tâche. Denis vient à Genève pour terminer le travail à la patine et les derniers vitraux sont posés au début de l’année 1923 (Stahl, 2009, p. 47, 48).
Le programme hagiographique choisi par le curé Jacquet illustre l’histoire religieuse locale à travers la représentation de saintes et de saints catholiques liés en particulier à la Savoie, Genève et la Suisse. Les saintes (Marie-Madeleine et Marthe, Blandine, Sédeleude et Clotilde, Colette et Louise de Savoie, Marguerite de Savoie, Jeanne de Chantal et Marguerite Marie) sont placées dans les fenêtres du nord-ouest, les saints (Jean, Pothin, Irénée et Salonius, Avit, Bernard de Menthon, Amédée de Savoie, François de Sales et le curé d’Ars), dans celles du sud-est. L’ensemble des saints forme une procession dirigée vers le chœur, comme le veut la tradition (Poiatti, 2008, p. 120).
Pour Denis, les défis sont multiples. D’une part, ses vitraux doivent s'accorder avec la peinture de l'abside tout en garantissant une lumière suffisante dans le choeur et la nef, et d’autre part il faut que les figures restent lisibles et aisément reconnaissables malgré la distance (“Les nouvelles œuvres de Maurice Denis […]”, 1923).
Deux maquettes pour les quatorze vitraux des fenêtres hautes de la nef de l’église Saint-Paul présentant les différents saints et bienheureux (inv. no. 2006-0019-D, 0020-D) ont été déposées au Musée d’art et d’histoire de Genève par l’Association catholique romaine de Saint-Paul, Genève (Musée d’art et d’histoire, s.d.). Maurice Denis présente sur ces deux projets l’ensemble des personnages choisis. Bien qu’esquissés, la majeure partie d’entre eux sont déjà dans une position définitive, seuls quelques détails dans la composition ont été modifiés lors de la phase ultérieure de création qu’est le carton. Dans sa thèse de doctorat, Fabienne Stahl examine les dessins préparatoires et souligne le souci de Denis d’harmoniser les tons des verrières avec sa peinture de l’abside, mais aussi de faire correspondre les coloris des verrières qui se font face et celles qui sont à proximité. Elle précise que Denis a effectué quelques petits changements de composition entre ses maquettes et les cartons (Stahl, 2009, p. 50).
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