Ce carton est le projet pour la baie centrale de la fenêtre tripartite consacrée à sainte Thérèse de Lisieux, située sur la façade sud-est de la nef de l’église Saints-Pierre-et-Paul d’Orsonnens, construction emblématique de l’architecte du Groupe de Saint-Luc Fernand Dumas, en 1935-1936 (Lauper, 2012, p. 209). L’artiste Alexandre Cingria conçoit l’ensemble des neuf vitraux de la nef en 1939, en collaboration avec le Fribourgeois Willy Jordan (Jordan, 1958, p. 6), auteur de la polychromie générale du sanctuaire, des mosaïques du choeur et de la chaire, des ornements et vêtements liturgiques ainsi que des vitraux du choeur, de la sacristie et du baptistère (Jordan, 1958, p. 2, 5). L’atelier fribourgeois Kirsch et Fleckner réalise l’ensemble des vitraux de la nef.
L’atelier Kirsch et Fleckner cesse son activité en 1938, suite à la mort de Vincenz Kirsch. Une année plus tard, les enfants des deux familles séparent l’entreprise en deux et perpétuent le savoir-faire de leurs pères chacun de leur côté (Pasquier, 1999, p. 60). Nous supposons que ces neuf verrières, datant pourtant d’après la mort de Vincenz Kirsch, lui ont été commandées avant sa disparition, expliquant pourquoi elles sont encore signées par l’atelier Kirsch et Fleckner. Terminées en mai, les verrières ne sont pas posées immédiatement mais partent pour Zurich, où elles sont présentées à l’Exposition nationale suisse (Cingria, [1944], p. 11) au pavillon d’art religieux de la Suisse romande (Bulletin paroissial, 1939a). Elles sont mises en place à Orsonnens vers la mi-novembre (Bulletin paroissial, 1939b).
Cingria réalise les neufs fenêtres tripartites de la nef sur un modèle identique. Un saint nimbé en pied et de face est figuré sur la baie centrale, tandis que les fenêtres latérales présentent une composition géométrique proche de l’abstraction, reprenant non seulement les teintes utilisées au centre mais aussi la forme du saint. Le nom de celui-ci figure au bas de chaque fenêtre sur trois cartouches. Pour chaque personnage, l’artiste choisit des couleurs dominantes qui lui sont propres.
Ce projet appartient à un ensemble d’oeuvres graphiques dont une partie provient du fonds de l’atelier fribourgeois Kirsch et Fleckner conservé au Vitrocentre Romont (KF_1302, KF_1303, KF_1304 et KF_1305), complété par quatre maquettes issues des collections du Vitromusée (VMR_1226_a, VMR_1226_b, VMR_1226_c et VMR_1226_d). Ces oeuvres dévoilent les étapes du processus créatif à l’origine de ces verrières. Il manque plusieurs des cartons et maquettes correspondant à ce cycle.
La comparaison de ce carton avec les parties latérales de la verrière consacrée à Thérèse de Lisieux révèle que, contrairement aux dessins des parties latérales des autres verrières de la nef qui sont très détaillés dans le choix des teintes, Cingria a choisi un même rouge pour toute la partie centrale avec très peu de nuances, alors que les verrières présentent différentes nuances de rouge, orange et brun. Ces précisions ont probablement été apportées lors du choix des verres.
La mise en parallèle de ce carton avec la maquette (VMR_1226a) et le vitrail dédié à Thérèse de Lisieux (GSL_11) permet de mieux comprendre la méthode de travail de l’artiste. Cingria fixe rapidement les lignes définitives de sa figure sur la maquette et n’effectue que de légers changements sur le carton, comme la position des deux roses aux pieds de la sainte, ainsi que la hauteur de sa main droite. Alors que le dessin de la sainte est très précis sur la maquette, il est beaucoup plus esquissé sur le carton, ce qui est paradoxal puisque normalement c’est le carton qui sert de base à la création du vitrail par l’atelier. Mais comme Cingria le relate dans ses Souvenirs d’un peintre ambulant, il renonce souvent aux cartons peints, étape qu’il juge “inutile et bête”. Comme il le souligne : “Une petite maquette pour les couleurs, et une mise en place sommairement ébauchée puis épurée par un calque précis me suffisent. De cette façon, j’arrive à plus de justesse dans mes tons, que je ne fausse pas en tâchant de transcrire ceux d’un carton forcément fatigué, puisqu’il est recopié d’une maquette” (Cingria, 1933, p. 119-120). A Orsonnens, il n’a pas abandonné le carton, mais celui-ci lui permet principalement de définir la taille et la forme des pièces de verre et de nuancer quelque peu les coloris, qui sont encore retravaillés sur le vitrail.