Ce vitrail a été réalisé en 1927 par Alexandre Cingria et Emilio Beretta et est actuellement situé dans la chapelle de Sainte-Marie-du-Peuple à Châtelaine. Originellement, il se trouvait dans l’église catholique Sainte-Croix de Carouge, à l’instar de trois autres oeuvres appartenant à ce cycle illustrant, par le biais de cartes topographiques, les lieux importants de la Légende de la Vraie Croix (B., 1928).
Ces quatre verrières sont déposées en 1974-1975 lors de la restauration de l’église Sainte-Croix dans l’esprit de Vatican II, afin de donner plus de lumière à l’édifice et retrouvent, grâce à une donation de la paroisse de Carouge (”Les vitraux de notre sanctuaire”, 1977) une nouvelle affectation en 1977 dans la chapelle de la paroisse Sainte-Marie-du-Peuple, construite en 1974-1977 par Jacques Vicari et Werner Francesco (Poiatti, 2008, p. 125).
La réalisation de ce cycle de vitraux à l’église Sainte-Croix de Carouge s’inscrit dans la suite de la rénovation de l’édifice, menée entre 1923 et 1924 par l’architecte genevois Adolphe Guyonnet. En 1921, après le Kulturkampf, l’édifice est le dernier du canton à être rendu aux catholiques romains et se trouve dans un état de délabrement tel que sa démolition est même envisagée, solution à laquelle Alexandre Cingria s’oppose vivement (Chaillot-Calame, 2001, p. 136-138). Ce fervent catholique, qui est resté attaché à Carouge tout au long de sa vie de “peintre ambulant” (Rudaz, 1998, p. 39-40), est l’un des membres fondateurs du Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, né deux ans plus tôt à Genève (Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, 1920). C’est en collaboration avec l’architecte Guyonnet que les artistes qui en font partie auront l’occasion d’oeuvrer à leurs premiers chantiers collectifs. Le premier d’entre eux est un prototype des expériences futures des protagonistes de la Société, celui de Saint-Paul de Cologny dans le quartier de Grange-Canal (1913-1915), construction qui assoit la réputation de Guyonnet (Poiatti, 2001). Viennent ensuite les rénovations de Sainte-Croix de Carouge et Saint-Jean-Baptiste de Corsier (1923-1927), dans le cadre desquelles un rôle majeur est accordé à la décoration, selon les principes animant le Groupe de Saint-Luc.
A Sainte-Croix de Carouge, la décoration se compose principalement d’un cycle de vitraux confié à Cingria et à Eugène Dunand, ainsi que de sculptures de François Baud et Roger Ferrier (Rudaz, 1998, p. 60). L’article de Cingria intitulé “Comment restaurer l’église de Carouge”, paru en septembre 1921, a probablement servi de ligne de base pour l’établissement du programme décoratif de l’église, accordant une place centrale à la mise en valeur de la latinité du sanctuaire (Rudaz, 1998, p. 65, 114-116 ; Cingria, 1921).
Pour les deux roses du transept, Cingria envisage un programme iconographique original, inspiré de La légende de la Vraie Croix de Piero della Francesca à Arezzo, que l’artiste avait pu admirer lors de ses séjours florentins entre 1904 et 1909. Il s’agit d’un récit issu de la Légende dorée de Jacques de Voragine, relatant l’histoire de la Croix jusqu’à son retour à Jérusalem au VIIème siècle, où elle est rapportée par l’empereur byzantin Heraclius (Rudaz, 1998, p. 77). Cingria choisit deux épisodes importants, l’un consacré à la Victoire de Constantin sur Maxence (GE_04.01) et l’autre à l’Invention de la Sainte Croix (GE_04.03). D’un grand dynamisme et dans des coloris par trop outranciers aux yeux de certains en plus d’un manque de lisibilité, ces verrières posées en 1924 font l’objet de violentes critiques qui aboutissent à la suspension du programme par le vicaire général, Mgr Petite. Celui-ci ne peut concevoir que “les rébus de Cingria aient leur place dans les églises”, sentiment partagé selon lui par les fidèles, qui “souhaitent que l’autorité ecclésiastique arrête de transformer leurs sanctuaires en musée des horreurs” (Petite, 1927a). Mgr Besson nuance les propos du vicaire général en lui disant que l’Église ne peut systématiquement refuser tout ce que Cingria réalise. Il propose d’exiger de l’artiste qu’il leur présente à chaque fois ses cartons et qu’il se plie à accepter les éventuelles modifications qui lui seraient demandées (Besson, 1927). Mgr Petite finit par accepter que l’artiste puisse poursuivre son travail mais avec une contrainte de taille : l’interdiction stricte de représenter des figures (Petite, 1927b). Cingria doit donc se contenter de vitraux ornementaux (Poiatti, 2008, p. 125), ce qui convient au vicaire général qui reconnaît à l’artiste un certain talent de coloriste (Petite, 1927a). L’artiste a parfaitement conscience que ce qu’un certain clergé craint le plus dans son art et dans celui de ses amis du Groupe de Saint-Luc, c’est leur façon de traiter la figure humaine. Il écrit dans ses Souvenirs d’un peintre ambulant, non sans humour, que si l’on s’en tenait à un art purement décoratif, il serait possible de “renouveler sans bruit et en douce tout l’art chrétien dans tous les pays” (Cingria, 1933, p. 31).
Pour ces quatre verrières du transept, Cingria cherche une solution innovante qui puisse lui permettre de poursuivre le programme consacré à l’Invention de la Sainte Croix sans avoir recours à des scènes narratives mettant en scène des personnages, et imagine des vues des lieux de la Légende de la vraie Croix dessinées à la manière de cartes de géographie anciennes. Il théâtralise la représentation par des rideaux qui s’entrouvrent sur ces vues à vol d’oiseau, alors que des angelots tenant les instruments de la passion au premier plan se réfèrent à la Légende de la vraie Croix (Poiatti, 2008, p. 125).
Comme à la basilique Notre-Dame, l’écriture participe pleinement de la composition. A la fois didactique, signifiant par le mot différentes régions représentées, elle est aussi un élément à part entière du décor, l’artiste jouant sur la variété, la taille et les teintes des caractères, dans une démarche rappelant la peinture cubiste de Braque et de Picasso du début du siècle. La plupart des lettres sont dessinées à l’aide de pochoirs, technique que Cingria affectionne particulièrement et qu’il utilise fréquemment. Parallèlement à ces jeux de composition subtils entre écrit et image, Cingria se sert d’un langage cubiste pour décomposer et fragmenter les éléments de ses cartes, donnant à voir sur une même image des vues plongeantes ou frontales d’édifices, participant à ce langage déstructuré.
La réintégration de ces quatre verrières à la chapelle de Sainte-Marie-du-Peuple a demandé quelques aménagements architecturaux, puisque celle-ci n’était pas prévue avant la fin de la construction. Il a fallu ouvrir la partie supérieure du mur gauche de l’entrée du petit sanctuaire pour les accueillir. Celui-ci n’étant pas assez large pour contenir côte à côte les quatre oeuvres, celles-ci sont placées légèrement de biais, tels deux livres ouverts devant nos yeux. Cette réinsertion offre au regard un grand paravent de verre, où le jeu subtil des couleurs jouxte celui des différents verres structurés et imprimés, le tout modernisé par l’écriture.