Ce carton en noir et blanc est un projet pour le vitrail de gauche du choeur de l’église Saint-Laurent de Villaraboud (Lauper, 2012, p. 189-190). L’atelier Kirsch & Fleckner réalise les vitraux du choeur de l’église en 1911, comme l’indique l’inscription se trouvant en bas à droite de ce vitrail.
Le carton et le vitrail ne comportent aucune signature de l’artiste cartonnier. Cependant, par comparaison stylistique avec les cycles contemporains d’Onnens (1911-1913) et du Jaun (1908-1910), il est indiscutable que ce projet est de la main de Raymond Buchs. On retrouve sur ce carton non seulement la précision du trait et le souci du détail animant chacune de ses oeuvres, mais également ce style classique qui lui est propre. A cette période, Buchs est de retour d’Allemagne où il a initié, parallèlement à ses créations verrières, une belle carrière de graphiste (Rudaz, 2001a, p. 13-15). Il continue à travailler pour l’atelier Kirsch & Fleckner, où il a fait son apprentissage entre 1894 et 1897 et pour lequel il n’a cessé de travailler depuis l’étranger (Rudaz, 2001b, p. 20). Il collabore avec lui jusqu’en 1913, année où il abandonne définitivement le vitrail, n’étant plus en phase avec les exigences des paroisses et souffrant vraisemblablement d’une absence de reconnaissance.
Ce carton est parfaitement identique au vitrail, à l’exception de la faute d’orthographe sur l’inscription présente sur le nimbe de la Vierge : “Je suis l’Immaculée conseption” qui a été corrigée sur le vitrail. Seule la partie centrale figurée est représentée sur le carton, avec la forme de la découpe de la bordure. L’encadrement architectural a fait, comme fréquemment, l’objet d’un carton séparé qui a également été utilisé pour l’encadrement identique du second vitrail du choeur consacré à l’Apparition du Christ au Sacré coeur à sainte Marguerite-Marie Alacoque.
Ce carton est très proche de deux autres projets (KF_798 et le KF_816) illustrant le même thème et qui sont également de la main de Raymond Buchs.
L’un de ces cartons (KF_798) est une version pour une des deux verrières du choeur de l’église de Neirivue, dont la réalisation est légèrement antérieure, datant de 1910. Composé dans des proportions un peu moins larges, il montre une sainte placée plus près de la Vierge. Vêtue un peu différemment, elle porte un châle bleu à franges sur ses épaules et ne tient pas de cierge mais a les mains ouvertes devant elle. La végétation sur les roches entourant la Vierge a également disparu, et le nimbe de celle-ci est sans inscription (elle réapparaîtra sur le vitrail).
Un autre carton similaire (KF_816), qui n’a pas encore pu être identifié à un vitrail dans un édifice particulier, montre Bernadette Soubirous vêtue aussi différemment, avec un voile tombant plus largement sur son bras droit et jusqu’à ses pieds face à la Vierge qui est représentée les mains jointes devant sa poitrine. Les roses sur ses pieds sont plus petites et l’encadrement architectural du vitrail est présent sur la partie gauche du dessin, alors qu’il est absent sur les deux autres cartons.
En 1910, la paroisse du Jaun acquiert une maison pour en faire sa nouvelle cure. Elle profite de commander à l’atelier Kirsch & Fleckner un vitrail pour une des fenêtres de la cage d’escalier de cet édifice pour compléter le cycle verrier de la nouvelle église réalisé entre 1908 et 1910 en collaboration avec Buchs. Cette verrière, aujourd’hui propriété du Vitromusée (VMR_10038), illustre l’Apparition de la Vierge à Bernadette Soubirous. Sa comparaison avec ce carton pour Villaraboud montre qu’ils sont très similaires, à la différence de quelques détails, comme le vêtement de Bernadette Soubirous et la tenue du cierge par Bernadette. La végétation sur le vitrail du musée est absente des rochers et plus clairsemée sous le ruisseau.
Ces variations autour d’une même composition sont intéressantes. Elles démontrent que l’artiste s’est basé sur un même modèle (dessin issu d’un cahier de modèles utilisé par de nombreux artistes illustrant les thèmes iconographiques les plus populaires) qui a ensuite été adapté selon son imagination, les souhaits des commanditaires et les contraintes liées au format de chaque création. Des inconnues demeurant quant à la destination de certains de ces projets, il est impossible de déterminer lequel de ces cartons a été réalisé en premier. Ils ont vraisemblablement été conçus dans les mêmes années.
L’attribution à Raymond Buchs de l’ensemble de ces cartons, possible grâce à la comparaison stylistique avec des cycles qui lui sont attribués de manière sûre (Onnens, le Jaun, Neryuz, Villarlod), illustre la grande productivité de cet artiste. Il demeure cependant anonyme, puisqu’aucun vitrail ne porte sa signature (alors que plusieurs de ses cartons sont signés), à l’exception de deux petits vitraux réalisés en 1897 pour la tribune de l’église d’Ueberstorf, probablement son travail de fin d’apprentissage, et son dernier vitrail réalisé en 1913 pour la cage d’escalier de l’école du Bourg à Fribourg, qui porte sa signature en lettres majuscules. Cet anonymat, lorsqu’il rentre en Suisse en 1911, n’a pu le laisser indifférent et est aussi probablement une des raisons qui lui ont fait abandonner le vitrail.